Depuis l’annonce de la maladie de sa mère, la petite fille de onze ans avait passé un an à prier tous les soirs pour que cette dernière se rétablisse, qu’on lui laisse sa maman encore jusqu’au jour de son mariage, qu’elle serait encore présente pour lui préparer ses petits déjeuners jusqu’à ses vingt ans au moins. Bref, la petite fille qu’elle était voulait croire qu’il y avait une force divine au-dessus d’eux et que si elle priait assez fort chaque jour, cette force l’entendrait et lui laisserait sa mère, cette femme forte et généreuse qui ne méritait pas tout ce qui lui arrivait. Alors lorsqu’elle vit l’état de sa mère s’arranger le temps d’une année, Charlie commençait à reprendre espoir, et le jour de son rendez-vous avec le médecin qui traitait son cancer, Charlie était même plutôt confiante. Charlie et Avalon attendaient devant la porte patiemment que leurs parents sortent. Et lorsque la porte s’ouvrit sur leur père, la mine décomposée, le sourire que Charlie portait sur son visage s’effaça instantanément. La jeune fille n’osa même pas ouvrir la bouche pour demander quoique ce soit, ayant sûrement trop peur de la réponse. Sa mère sortit à son tour du cabinet, essayant de sourire pour faire bonne figure devant ses deux filles. « C’est pas encore ça, mais on s’en approche les filles. Je vous le promets. » Et quelque part, elle aurait voulu y croire, même si elle savait désormais que la bataille contre le cancer était loin d’être terminée. Mais surtout, quelque chose changea en Charlotte à ce moment-là. Elle sentit une sorte de révolte s’élever en elle, comme si elle en voulait désormais au monde entier pour la maladie de sa mère.Mais en réalité, elle avait surtout l’impression qu’être bon et gentille ne servait à rien dans ce monde, alors autant faire exactement ce qu’elle voulait, quand elle le voulait. En soit, elle devint alors une adolescente difficile et bornée, en faisant voir de toutes les couleurs à son père. La seule personne de qui elle resta vraiment proche fut sa sœur.

Wade était un de ces garçons comme on en voit souvent dans les lycées américains. Très beau, sûr de lui et jouant avec les filles et leurs sentiments comme on joue avec des poupées. Charlotte, elle, était devenue une de ces filles populaires et manipulatrices, qui adore jouer avec les hommes comme on joue aux billes, pour se venger en quelque sorte. Si elle était devenue une de ces personnes, c’était sans doute grâce à cette carapace qu’elle s’était forgée quelques années plus tôt, et quelques fois, sa sœur avait du mal à comprendre cette partie d’elle. Les règles au lycée étaient simples, et Charlie en avait instauré une seule et unique : « Vous pouvez vous en prendre à qui vous voulez dans ce lycée, ça m’est complètement égal, mais vous ne vous en prenez pas à ce groupe-là. Compris ? » Pointant son doigt sur Avalon, Juliet, Graham, Lincoln etc. Charlie mettait un point d’honneur à ce qu’on ne touche pas à sa sœur et ses amis, parce que même si elle avait ce côté garce, elle n’en aimait pas moins sa sœur et ses amis pour autant, ils étaient tous présents dans leurs vies. Toutes les filles à qui elle s’adressait hochèrent la tête sans un mot et Charlie continua son chemin à travers les couloirs du lycée, suivie de ses soi-disant amies. Une seule pouvait avoir ce qualificatif, et elle se trouvait à ses côtés, et non derrière elle : Mads. La jeune fille avait toujours eu une place importante dans la vie de Charlie, et ce, depuis le jardin d’enfants où elles s’étaient rencontrées. Mais un groupe d’adolescents leurs fit barrage. Haussant un sourcil, Charlie les dévisagea de haut en bas puis de bas en haut. « Qu’est-ce qu’il se passe Hillington, tu trouves plus ton chemin jusqu’au stade de foot ? » Un sourire ironique sur le visage, ce dernier s’approche un peu plus de la jolie brune qui resta statique. « Charlotte, le jour où tu accepteras que tu m’aimes, appelle moi. » Faisant mine d’être dégoutée, Charlie chuchota à l’oreille du prénommé Wade : « Plutôt finir vieille avec des centaines de chats plutôt que d’accepter un rendez-vous avec toi. » Elle lui fit ensuite un sourire aussi faux que ce qu’elle venait de lui chuchoter à l’oreille et s’éloigna sous le regard de l’équipe de football du lycée. En réalité, elle craquait sur lui, mais plutôt louper sa chance que d’avouer quoique ce soit. Seule Mads était au courant, sans même que Charlie lui ait dit quoique ce soit. « Quand est-ce que tu avoueras que tu es complètement folle de lui Charlie. A force de le faire tourner en bourrique, tu vas finir par le perdre. » Et après un regard entendu échangé, les deux meilleures amies entrèrent en classe d’histoire, pour deux longues heures ennuyeuses et ponctuées de remontrances du professeur pour bavardages incessants.

Ce n’est que quelques années plus tard, lorsqu’on lui appris que sa mère était en rémission, que Charlie s’autorisa enfin à être un peu plus heureuse et à devenir une personne meilleure, au grand soulagement de son père et de sa sœur, qui la supportait le plus, sa mère ne remarquait pas tellement les dégâts que sa maladie avait causé sur sa petite fille parce que même en étant devenue une garce manipulatrice, elle ne souhaitait en aucun cas infliger ça à sa mère. Sans compter sur le fait qu’elle redevint à nouveau la jeune fille généreuse et aimante qu’elle avait toujours été, elle accepta en plus de s’avouer à elle-même qu’elle était vraiment amoureuse de Wade. Prenant son courage à deux mains, elle lui envoya un message pour lui donner rendez-vous dans un endroit discret. « Écoute Wade, je sais que tu joues énormément avec les filles, tu peux avoir n’importe quelle d’entre elles dans ton lit quand tu veux, alors je me dis que peut-être, tu ne t’intéresses à moi que parce que je suis une des rares qui résiste. » Baissant le regard, Charlotte n’osait pas affronter le regard de celui qu’elle aimait, de peur d’être blessée. « Charlotte, peut-être que j’aime ce côté rebelle de toi, je ne te le cache pas. Mais ce n’est pas seulement ça, c’est ta manière de sourire quand tu comprends quelque chose, tes fossettes quand tu te mets à rire aux éclats, ta manière de m’appeler Hillington, si tu acceptes de me donner une chance, je te promets de te montrer qu’à mes yeux, tu n’es pas comme toutes ces filles. » Et sans même ajouter un mot, Charlie se laissa faire pour la première fois lorsque Wade approcha ses lèvres des siennes. Depuis ce jour-là, ils formèrent l’un des couples emblématiques du lycée, et malgré des hauts et des bas, rien ni personne n’arriva à les séparer.

Trois années avaient passées depuis ce premier baiser, et Charlotte et Wade étaient plus heureux que jamais. Mais aujourd’hui était un jour spécial puisque Charlie avait reçu les réponses des universités pour lesquelles elle avait postulé. Et si UCLA était en tête de liste, quand elle vit qu’elle et sa sœur avaient la possibilité de se retrouver ensemble à Boston, la jeune fille n’hésita pas une seule seconde à faire des concessions pour sortir sa grande sœur du chagrin que cette enflure de Lincoln avait causé. « Ava ! Sors de ce lit ! » s’exclama Charlie en entrant dans la chambre de sa sœur, Juliet sur ses talons. Alors que Charlie s’occupait d’aller tirer les rideaux de la chambre pour faire pénétrer la lumière, Juliet s’occupa de tirer la couette et se jeta sur le lit. « Ava, t’es ma sœur, et je t’aime. Mais franchement, ça pue le phoque ici. Va prendre une douche ! » Et alors qu’Avalon leva la tête pour jeter un regard noir à sa sœur et lui tirer la langue, Charlie s’occupa de sortir une tenue convenable à sa sœur. « Mon frère est un crétin, certes. Mais toi, pourquoi tu restes encore au lit ? » La boudeuse attrapa son oreiller et le posa sur sa tête en signe de protestation. Charlie vint à son tour poser ses fesses sur le lit de sa grande sœur. « Je t’emmène déjeuner avec Juliet, on a quelque chose à fêter. Et je pense que ce truc va peut-être te sortir de ton cocon. » « Quoi ? » marmonna Ava, sans même lever la tête. « Tu te souviens de cette année que tu voulais passer à enseigner à des enfants handicapés. » « Je te rappelle que j’ai été refusé ! » soupira-t-elle. Charlie tira alors l’oreiller et posa une feuille sur le visage de sa sœur. « Oui, mais un autre institut t’a accepté. Mais pas ici. A Boston. » Avalon daigna enfin lever la tête et se releva alors sur son lit pour lire le courrier en question. « Mais je vais pas partir toute seule. » Juliet prit alors la parole. « Et pourquoi pas ? Je sais que mon frère t’a fait souffrir. Prendre du recul te fera du bien. » « Si seulement je comprenais pourquoi.. » Charlie attrapa alors la main de sa sœur. « D’où le fait que nous avons une bonne nouvelle à fêter. Tu ne partirais pas toute seule. J'ai été accepté à l'université là-bas. On resterait ensemble. »

Aujourd’hui, sa sœur se mariait, et Charlotte était rentrée de boston spécialement pour l’occasion, ce qui lui donnait en plus une chance de voir Wade un peu plus que prévu. Généralement, ils ne se voyaient que lors des vacances, lui étant resté à Seattle pour intégrer l’armée, son rêve depuis tout petit. Leur couple ne s’essoufflait pas pour autant, au contraire, les retrouvailles n’en étaient que plus intenses et il était bien évidemment présent au mariage d’Avalon, il faisait partie de la famille désormais, en couple avec Charlie depuis de longues années. Charlie pénétra dans la chambre de jeune fille de sa sœur, se remémorant quelques souvenirs au passage. Sous le choc de l’émotion, Charlotte se jeta dans les bras de sa sœur, se promettant de ne pas pleurer. « Tu es la plus belle des mariées ! » Ava lui rendit son sourire, tandis que Charlie déposa un énorme baiser sur sa joue. Avalon avait décidé de célébrer le mariage simplement, dans le jardin de ses parents, en petit comité. « Tu n’es pas mal non plus en demoiselle d’honneur ! » Charlotte sourit et tourna sur elle-même pour montrer comme la robe lui allait bien. « Pas autant que moi ! » Charlie fit un demi-tour sur elle-même et laissa entrer Juliet, qui à son tour fit un tour sur elle-même. « Je te promets Ava, qu’on ne te volera pas la vedette aujourd’hui. » ajouta-t-elle en riant. « Arrêtez de vous mettre en compétition, les filles. C’est pas très joli pour des demoiselles d’honneur. » Toutes les trois partirent alors dans un fou rire et la journée continua dans la bonne humeur, toute la famille et les amis étaient réunis. Alors que Charlie dansait un slow avec son petit-ami, celui-ci lui annonça une plutôt bonne nouvelle en soi. « J’ai enfin été accepté dans l’armée. » La jeune femme sourit alors, même si quelque part, elle était morte d’inquiétude. « Je suis fière de toi chéri, je savais que tu y arriverais. » Après avoir déposé un baiser sur les lèvres de son petit-ami, ce dernier ajouta. « Je dois partir avec le régiment dans une semaine. » Un silence s’imposa. « Je reviendrais dans six mois. » A ce moment-là, la jeune femme ne put alors cacher sa tristesse. « J’ai peur.. » « Ne t’en fais pas, je serais de retour avant même que tu ne puisses te rendre compte de mon absence. Toi, occupe-toi de finir tes études à Boston, et quand je serais de retour, tu seras enfin installée à Seattle et on pourra commencer notre vie à deux.. » « Ou à trois. » Effectivement, Charlotte avait fait un test de grossesse plus tôt dans la journée et ce dernier s’était révélé être positif, et c’est pour ça que le départ de son petit-ami ne l’enchantait guère. « Tu es sérieuse ? » Charlie hocha la tête et Wade la porta pour l’embrasser fougueusement. « Je t’aime Charlotte Crossburry. Et ne t’inquiète pas, tu seras bien entourée. Ta sœur, Juliet, Mads, tes parents.. Je ne m’en fais pas pour toi. »

Seulement, Wade n'aurait pas du être si optimiste, puisque trois mois plus tard, Charlie fit une fausse couche, et elle ne pouvait compter sur le soutient de personne. Avalon, Mads, Juliet et ses parents. Ils étaient tous à Seattle et elle se retrouvait seule à Boston. Durant les quelques mois qui la séparèrent de Wade, la jeune femme ne fit que broyer du noir, même si Ava et Mads avaient tenté de venir l'aider, elle refusait toute forme de compassion, se tenant pour responsable de la perte du bébé. Seuls le temps et l'amour de son homme lui permirent de tourner cette page noire de son histoire.  

Charlotte s’approcha prudemment de sa grande sœur, de peur de l’effrayer. Lorsque Juliet posa tendrement une main sur son épaule, cela n’empêcha pas Avalon de sursauter. Lorsqu’elle se retourna pour leur faire face, son visage était pâle, et ses yeux gonflés par les larmes de désespoir. Charlotte n’avait jamais vu sa sœur dans un état pareil, et le choc lui tordit le cœur, et fit instantanément monter les larmes qu’elle retenait. Il fallait qu’elle soit forte pour elle. Forte pour deux. « Tu les a appelé ? » On pouvait ressentir la colère et la tristesse d’Avalon rien que dans le son de sa voix. Et le temps de quelques secondes, Charlotte se sentit coupable, sans défense, perdue. Elle ne savait plus comment agir pour sortir sa sœur de cet enfer. « Je sais que eux tu les écoutera. » « Écouter quoi ? » « Tu fais quoi là, Ava ? » Juliet prit enfin la parole, ce qui soulagea le temps de quelques secondes Charlotte. « Je fais un feu de joie avec les affaires de mon traitre de mari. » Tous posèrent un regard surpris sur le feu qui faisait face à Avalon. Charlie s’approcha prudemment de sa sœur. Cela faisait seulement deux jours que Maxim était décédé. Il n’avait même pas encore été enterré. Jusque-là, Charlie n’avait jamais vu sa sœur dans un tel état. Elle qui ne se mettait jamais en colère, qui semblait pouvoir maîtriser n’importe quelle situation dans le calme. Charlotte s’éloigna de sa sœur pour s’approcher de Lincoln et lui demander à voix basse. « Elle est comme ça, depuis qu’elle est rentrée du poste de police ce matin. Ils voulaient lui poser des questions. Tu ne sais pas pourquoi, Linc’ ? » L’air dépité de l’ami de sa sœur ne la rassura pas. « On m’a viré de l’enquête quand ils ont su qu’on se connaissait. » marmonne-t-il. Ava, qui apparemment avait tout entendu passa ses mains dans ses cheveux dans un geste rageur. « Ils ont découvert que mon très cher mari n’en était pas à son premier coup d’essai. En réalité, il a fait une quinzaine de braquages dans sa vie. Dont sept alors qu’on était ensemble. » Un rire rageur se fit entendre et elle continua : « J’ai passé dix ans avec ce type et je ne savais rien de lui. Je … » Sa sœur éclata alors en puissant sanglot et en peine à respirer. Tous la regardèrent, encore abasourdis par ces révélations. La scène est alors très rapide. Ava, s’effondre au sol et continue à pleurer. Lincoln est le premier à réagir et vient la serrer dans ses bras. Les deux autres viennent aussi à leur tour autour d’elle. Juliet lui caresse les cheveux, tandis que Graham passe une main rassurante dans son dos. Charlie, elle, regarde la scène sans pouvoir faire le moindre mouvement, de peur que le sol ne se dérobe sous ses jambes. Elle pleure en silence, se sentant impuissante face à la détresse de sa sœur.

Charlotte a écrit:

« J’ai hâte que tu rentres mon amour. Tu me manques tellement en ce moment. Avalon ne va pas bien du tout. Il se trouve que Maxim n’était en fait qu’un cambrioleur récidiviste, et il a été abattu lors de son dernier braquage. Je suis désolé de ne t’avouer tout ça que par lettre, mais j’ai besoin d’en parler à quelqu’un, ou plutôt de l’écrire. Plus que quinze jours et tu seras à mes côtés. J’ai l’impression d’être tellement chanceuse de t’avoir pour mari. A propos de ça, je n’en ai parlé à personne encore. Le moment ne s’est pas présenté avec Ava et je ne me vois pas lui balancer mon bonheur à la figure quand son monde s’écroule autour d’elle. Mads est au courant bien sûr. J’ai une autre nouvelle à t’annoncer, mais pour celle-ci, j’attends que tu sois de retour à la maison. Notre maison. Ici, nous t’attendons tous de pied ferme, surtout moi. Alors fais attention à toi, et reviens-moi vite. Je t’aime. »